Projet Pons pour l’aérodrome d’Eyguières : Le scandale de l’attribution d’un restaurant qui ne verra jamais le jour

Retour sur une des bizarreries les plus extravagantes du contrat de concession signé par Henri Pons, Maire d’Eyguières, avec sa SEMOP « SEZAME ».

Rappelons que dans le projet pour l’aérodrome figure la construction d’un bâtiment d’accueil avec un restaurant, des chambres d’hôte et des commerces et que le contrat de concession, signé en date du 19 avril 2023, stipule que pour le future restaurant, la commune avait « agréé la SARL DES PISTES ».

Premier constat :

Aucun appel d’offres n’a été organisé pour l’attribution de ce restaurant. Et pourtant, aux termes d’un courrier du Sous-Préfet d’Aix en Provence du 29 novembre 2022, maintes fois cité sur ce blog, la SEMOP « rentre dans le champ élargi des adjudicateurs publics et doit procéder, pour la satisfaction de ses besoins, à une mise en concurrence publique ».

Deuxième constat :

Le sujet déclenche de toute évidence une grande nervosité en mairie d’Eyguières. Pour s’en convaincre, il suffira de rappeler les échanges plus que vifs au conseil municipal du 19 octobre 2023 entre le Maire Pons et Madame Audrey Touron :

Question de l’élue d’opposition :

Si ce n’est pas la SARL DES PISTES, qui est donc l’exploitant retenu pour ce restaurant ?

Réponse du Maire Pons :

« Madame Touron, (…) vous semblez ignorer que des homonymies peuvent parfois exister dans la dénomination d’une société. Vous l’ignorez tellement que (…) vous êtes allée jusqu’à écrire publiquement que la société qui serait en charge du restaurant sur l’aérodrome appartient à un couple de notaires. (…)

Et Madame Touron, comment vous pouvez penser un seul instant que dans le cadre du contrat de concession qui a fait l’objet d’un contrôle de légalité pendant deux ans, il est possible de confier l’exploitation d’un restaurant à des notaires dont la société n’a aucun lien avec le secteur de la restauration ? Comment pouvez-vous le penser ? (…) »

Ce que Henri Pons ne dit pas :

Le contrat de concession n’a nullement fait l’objet d’un contrôle de légalité pendant deux ans comme allégué, d’autant plus que la version du contrat de concession signé le 19 avril 2023 n’a plus rien à voir avec le projet soumis fin 2019 au conseil municipal.

En réalité, c’est un recours gracieux du sous-préfet, soumis pour avis au Président du Tribunal administratif, qui a mis deux ans pour être traité. Et ce recours gracieux ne portait que sur la question de savoir si une SEMOP (société d’économie mixte à « opération unique ») pouvait être en charge tant de l’aérodrome que du Karting.

Puis, l’argument de l’objet social (immobilier et non gastronomique) de la seule SARL DES PISTES actuellement existante ne tient pas non plus puisque l’attribution envisagée en toute illégalité par la commune pourrait très bien avoir pu porter sur la gestion « immobilière » des locaux du restaurant, sait-on jamais.

Au vu des déclarations plus que évasives du Maire Pons au mois d’octobre 2023, il n’est donc pas surprenant que Madame Touron remette le sujet à l’ordre du jour à l’occasion du conseil municipal suivant le 20 janvier dernier :

Question :

Le contrat de concession SEMOP consulté en mairie indique que la gestion du restaurant projeté sera assurée par la SARL DES PISTES. Lors d’un conseil municipal précédent vous indiquiez l’existence d’une société homonyme de la seule actuellement enregistrée sous cette dénomination et détenue par un notaire de Salon de Provence.

Quel est le numéro SIRET de cette société homonyme et qui en est le gérant ?

Réponse du Maire :

Effectivement, je vous confirme qu’il s’agit bien d’une question d’homonymie. La société qui aura en charge la gestion du restaurant est simplement une société qui est en cours de formation. Il s’agit là d’un procédé juridique classique autorisé notamment par les dispositions de l’article 1843 du code civil. Par conséquent, lorsqu’elle sera immatriculée, cette société disposera du numéro SIRET, pourra agir et souscrire aux engagements de son représentant avant son immatriculation dans le cadre de la procédure de la SEMOP.

Notre avis :

La réponse de Monsieur Pons ne résiste pas à la moindre analyse des faits allégués.

Regardons d’abord ce que dit l’article 1843 cité du Code civil :

« Les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant l’immatriculation sont tenues des obligations nées des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas. La société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputés avoir été dès l’origine contractés par celle-ci. »

Fort bien ! Cependant, et c’est ballot, en matière de délégation de service public, le verbiage du maire se heurte à une décision du Conseil d’État du 19 décembre 2012 qui stipule que :

« Une société en cours de constitution n’est admise à candidater à une délégation de service public que si la procédure de sa création est suffisamment avancée. »

Et que :

« La simple approbation du principe de la création d’une société et l’adoption d’un projet de statuts ne sauraient suffire. »

Or, près d’une année après la signature du contrat mentionnant l’attribution litigieuse, la société n’existe toujours pas.

Henri Pons et son collaborateur de cabinet seront donc bien en mal de vouloir sortir du chapeau une société éponyme pour essayer de rafistoler le dossier plus que sulfureux de cette « attribution » du restaurant projeté.

Puis, « l’agrément » de la commune ne peut pas non plus être fondé sur l’appel d’offre de 2019, car aucune mention en la matière ne figure sur les documents officiels de l’époque.

Circonstance aggravante, la seule et unique société enregistrée à ce jour en France sous la dénomination « SARL des Pistes » a son siège à Aix en Provence et appartient à un couple de notaires de Salon de Provence qui nie catégoriquement toute implication dans ce dossier.

Cette contestation laisse quelque peu perplexe : La proximité géographique d’Eyguières et du siège à quelques kilomètres de là du gérant de la société est indéniablement troublante. Il n’en aurait peut-être pas été de même si l’attributaire publié siégeait à l’autre bout du pays ou dans le cas où d’autres sociétés éponymes existeraient. Un tel concept aurait éventuellement pu fonctionner pour le « Bar de la Plage » ou le Café du Commerce », il y en a myriades à travers le pays.

De son côté, le couple de notaires poursuit actuellement la conseillère municipale d’opposition Madame Audrey Touron en diffamation pour l’avoir cité dans le contexte de l’attribution du restaurant de l’aérodrome.

C’est dire à quel point le projet d’aérodrome doit sentir le soufre !

Au préalable, l’avocat du notaire avait même exigé de publier un « démenti » officiel, confirmant que son client n’était pas l’attributaire de ce marché.

En toute logique, Madame Touron lui répondait que seul le Maire d’Eyguières pouvait publier un tel démenti. Supposons que sur ce point, le notaire salonnais ait suivi le conseil de l’élue d’opposition : Comment expliquer autrement que quelques jours plus tard, l’édile lui adressera un courriel que nous avons pu consulter et dont le contenu ne manque pas d’originalité :

« Je vous confirme, par la présente, que ni votre société (la SARL DES PISTES), ni vous-même ou votre épouse, n’êtes concernés par le projet de modernisation de l’aérodrome de Salon-Eyguières (…)

En aucune façon vous n’avez été contacté ou n’avez participé, de quelque manière que ce soit, à la procédure qui a conduit à la conclusion du contrat de concession précité. Vous n’êtes, en aucune façon, attributaire d’un quelconque contrat lié à cette concession, notamment pour l’exploitation d’un restaurant sur le site de l’aérodrome. »

Henri PONS, Maire d’Eyguières

Le premier magistrat d’une commune se retrouve ainsi dans la situation de devoir confirmer au titulaire d’un office ministériel que ce n’est pas lui l’attributaire d’un marché public de sa collectivité.

On marche sur la tête !

Hypothèses envisageables :

  • La société appartenant au couple de notaires était bel et bien impliquée à un moment donné dans l’attribution du restaurant projeté (ou de la gestion « immobilière » des locaux d’ailleurs) et s’est ensuite retirée du projet. Puis, dans la précipitation et l’improvisation que l’on leur connaît, les services de Monsieur Pons « oublient » de retirer la mention correspondante du contrat de concession avant sa signature.

Possible mais pas certain …

  • Une autre société, éponyme, pourtant inexistante à ce jour, est déclarée attributaire du restaurant.

Surprenant mais pas impossible, nous sommes au Ponsistan …

Rappelons à ce titre l’offre d’achat de 2021 pour le bâtiment de l’ancienne Gendarmerie, émanant d’une société « en cours de constitution » et appartenant, si l’on veut dire ainsi, à l’épouse et la fille d’un agent immobilier voisin du magasin d’optique du Maire Pons …

Notre avis :

Quelle que soit la vérité dans cette affaire, la position du Maire Henri Pons est des plus inconfortables.

Une fois de plus, on ne peut que constater l’opacité et les irrégularités entourant l’attribution des marchés publics dans cette commune au pied des Alpilles.

D’une part, il est clair que les termes du courriel adressé au notaire de Salon rendent les stipulations du contrat de concession pour le moins irrecevables.

Le contrôle de légalité préfectoral a dû apprécier !

D’autre part, il est évident que l’attribution de la délégation de service public du restaurant projeté à une société « en cours de constitution » se heurte à plusieurs décisions du Conseil d’État qui en font interdiction, ni plus ni moins.

Pour Henri Pons c’est indéniablement un dilemme pour lequel il n’y a que de mauvaises solutions.

Pas impossible d’ailleurs que le problème de la sous-traitance de ce restaurant soit le premier domino à conduire à l’écroulement du projet aérodrome tout entier : c’est du moins ce qu’indique « La Provence » dans un article du 12 mars courant, fort bien recherché, dans lequel on peut lire que :

La SARL fantôme (n’existe) toujours pas ce qui rendrait caduque la partie du contrat de concession relative au restaurant, voire l’ensemble du protocole.

Le coup serait fatal au projet de transformation du modeste terrain réservé à l’aviation légère en aérodrome de premier plan, capable d’accueillir les avions privés des grands patrons et de la jet set. Il est vrai que l’affaire était dès le départ très mal engagée : l’espace aérien eyguiéren est saturé par les avions de Marignane et des bases militaires d’Istres et de Salon voisines ; les responsables du Parc naturel des Alpilles sur lequel se trouve l’aérodrome ont dit « non » ; 2 500 riverains s’y opposent et les recours se multiplient.

Les services de l’État ne cachent d’ailleurs même plus leur scepticisme.

Marie-Pierre Callet, la responsable des routes au Conseil départemental, a par exemple refusé la construction du rond-point à l’entrée de l’aérodrome que lui réclamait Henri Pons :

« Je ne vais pas dépenser 800 000 € d’argent public pour un truc qui ne verra jamais le jour » lui a-t-elle répondu en substance.

Nous n’aurions pas pu le dire mieux !