Cape Canaveral en Provence ?

Ces derniers jours, le cocorico était assourdissant dans la plaine de la Crau.

À lire la communication de Monsieur Pons, Maire d’Eyguières, on aurait presque pu croire que la NASA allait choisir Eyguières pour ressusciter la navette spatiale.

En effet, le 28 janvier dernier, l’édile publiait le tonitruant message qui suit sur son site Facebook :

On avait déjà vu l’hypothèse de la rentabilisation des investissements de la SEMOP par la vente de glaces aux enfants des visiteurs.

Aujourd’hui, c’est la voiture volante qui est à l’ordre du jour.

Non content d’avoir brûlé une partie des pistes du Centre d’aéromodélisme de la Crau avec ses essais en 2018, Monsieur Zapata, pilote de Jet-Ski, voudrait donc revenir à Eyguières avec un nouvel engin volant dont l’utilité pour l’humanité reste à prouver.

Il y a pourtant des références historiques.

Certains de nos lecteurs se souviendront peut-être de « Rocket Man », l’homme fusée qui avait fait une entrée remarquée à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Los Angeles en 1984.

Près de quarante ans après, Monsieur Franky Zapata se produira aux cérémonies du 14 juillet 2021 à Paris sur le modèle de son illustre prédécesseur américain et traversera ensuite la manche avec son engin fixé sur le dos.

Les annonces sur Facebook de Monsieur Pons relèvent donc plus du cirque que d’une quelconque sensation technologique.

Le site internet de Monsieur Zapata demeure d’ailleurs remarquablement silencieux (c’est le cas de le dire) au sujet du bruit produit par son engin et de la consommation en carburant de ce dernier.

Ce que nous savons, c’est que le « Flybord » consommait 20 litres de kérosène en dix minutes, avec ses quatre mini-réacteurs.

Or, la voiture volante baptisée « Jet Racer » est censée compter 10 réacteurs !

Il n’est surprenant que le site de Monsieur Zapata se cantonne à indiquer pudiquement que l’autonomie de l’engin serait « relativement faible » et que « son autonomie (fait) de cette machine le moyen de déplacement le plus pratique pour des courtes distances. »

Un déplacement de Marseille à Montpellier comme évoqué à titre d’exemple semble donc hors de portée.

De plus, déjà le « Flybord » avec ses quatre turboréacteurs faisait monter le niveau sonore jusqu’à 120 décibels, « seuil de la douleur, selon les organismes spécialisés », comme le précisait France-Info.

Imaginons donc un engin forcément plus lourd avec dix turboréacteurs.

Les instances de la Ligue des Alpilles et du Parc Naturel Régional apprécieront, c’est certain.

On nage en plein rêve de mobilité douce, d’écologie, de développement durable et de préservation de la biodiversité.

Bravo Monsieur Pons, référent « mobilité douce » de la Métropole !

On pourrait aussi nous expliquer à l’occasion l’utilité d’un engin capable d’élever une charge de 200 kg à 3.000 mètres d’altitude avec un décollage vertical.

Force est de constater que le « Jet Racer » ne sera en aucun cas une voiture mais bel et bien un aéronef. Et, en tant que tel, l’engin n’échappera pas à la réglementation aérienne.

Franky Zapata a d’ailleurs expliqué au « Parisien » que pour rendre accessible ce type d’engins au commun des mortels, « il faudra limiter les manœuvres incombant aux humains et laisser le pilotage à l’informatique. »

Le contrôle aérien, déjà bien occupé avec le trafic aérien actuel, n’attendait plus que ça :

Un engin radiocommandé, volant en automatique, avec des passagers dépourvus de la moindre compétence pour en prendre le contrôle en cas de problème… le cauchemar de tout contrôleur aérien.

C’est à se demander pourquoi les compagnies aériennes équipent chacun de leurs avions de deux pilotes qualifiés. Et pourquoi, d’après vous, faut-il disposer d’une expérience de 1.500 heures de vol pour devenir ne serait-ce que co-pilote aux États Unis ?

La démocratisation d’une voiture volante, quelle qu’elle soit, ne sera donc pas envisageable avec les techniques actuelles et en encore moins avec des moyens de propulsion alimentés au kérosène.

De plus, pour sa conduite, il faudra nécessairement une licence de personnel navigant.

À voir le style de l’annonce sur le site Facebook du Maire Pons, on pourra également se demander à qui la commune confie actuellement sa communication officielle …

Une fois n’est pas coutume, dira-t-on.

Rappelons qu’en 2021, Henri Pons n’avait pas hésité à attribuer un marché de communication de près de 200.000 € hors taxes, soit 240.000 € TTC, à … un magasin de prêt-à-porter (!!!) de Six-Fours-Les Plages dans le Var pour son « Festival d’Eyguières » …

Par ailleurs, si l’engin volant de Monsieur Zapata avait une quelconque utilité militaire, sa présentation aurait eu lieu au Salon du Bourget plutôt que sur un aérodrome de loisirs, situé de surcroît en dessous d’une pléiade d’espaces aériens contraignants.

Constatant que Monsieur Zapata se fera successivement « interdire de séjour » à Sausset-Les Pins et d’autres communes alentours, la DSAC Sud-Est se rapprochera en 2017 de l’AUPASE pour élaborer la « solution » Salon-Eyguières, considérée comme moins sujette à des problèmes de riverains.

Eyguières est donc plutôt une solution de repli pour des tests d’engins bruyants et polluants qu’un endroit choisi pour présenter une sensation mondiale.

Pas de quoi pavaner en somme, Monsieur Pons !

Franky Zapata n’a d’ailleurs rien inventé.

Gérard Feldzer, ancien pilote de ligne et président de l’association « Aviation Sans Frontières » rappelle que:

« En 1909, lorsque Louis Blériot avait franchi La Manche, c’était un exploit. Il fallait qu’il traverse à tout prix parce qu’il était ruiné par son invention. Et le journal The Daily Mail lui proposait un prix équivalent aux 2 millions d’euros d’aujourd’hui, ce qui n’était quand même pas rien. Aujourd’hui on fait toujours des progrès comme ça. Mais ce n’est pas vraiment une invention. Ce n’est pas nouveau. En 1984, il y avait déjà un « rocketman », que l’armée américaine avait subventionné. Il avait ouvert les Jeux Olympiques de Los Angeles, dans le stade ».

Initialement annoncé par « Le Point », le lancement officiel de la voiture volante devait d’ailleurs avoir lieu à Hawaï avant Noël 2019.

Trois ans plus tard, on pouvait lire sur le site Facebook de Monsieur Zapata qu’en date du 28 janvier dernier (2022), il attendait toujours que les autorités autorisent la voiture volante à voler…

Et cette autorisation n’est de toute évidence pas sur le point de lui être délivrée.

Contacté par téléphone, Monsieur Bernard Berger, Directeur de la régie municipale d’aérodrome, déclarera en date du 23 février que « la manifestation est reportée à une date ultérieure non définie à ce jour. » Il confirmera également qu’il était bien prévu une fermeture de l’aérodrome de cinq, voire six jours, pour la mise en place des structures d’accueil dont un chapiteau.

Après 57 fermetures de la plateforme depuis la mise en place de la régie municipale en avril 2018, qu’importent cinq ou six jours de plus !

Et le Directeur de la Régie au statut administratif pour le moins discutable d’ajouter que :

« De toute façon, je ne demanderai pas conseil aux usagers. Ils seront informés de la date retenue lorsque la régie estimera qu’il est temps de le faire. »

Bernard BERGER

Nous nous dispenserons ici d’évaluer la qualité de ces propos.

Des sources généralement bien renseignées indiquaient depuis plusieurs jours que la Préfecture avait d’ores et déjà émis un avis défavorable à la tenue de cet « immense événement de dimension internationale » annoncé par Henri Pons.

En même temps, « Le Régional » relatait que « selon (ses) informations, celui qui est déjà à l’origine du Flyboard Air, n’a pas eu les autorisations nécessaires pour dévoiler la JetRacer, sur l’aérodrome d’Eyguières.« 

Dans un courriel daté du 25 février dernier, le Bureau des Polices administratives des Bouches du Rhône informera le Président de l’AUPASE que :

« La Préfecture n’instruit actuellement aucune demande en ce sens. »

Un tel positionnement de l’administration ne surprend guère, étant donné que le décret régissant la réserve naturelle spécifié bien dans son article 15 qu’ « Il ne peut y avoir des perturbations sonores excessives. »

Dans une communication préalable à tout examen de dossier, les services préfectoraux indiquent d’ailleurs que pour la tenue de manifestations aériennes « sont notamment interdits les réserves naturelles nationales ou les parcs naturels nationaux ».

Bien le bonjour de l’outarde canepetière, espèce protégée !

Pour le surplus, rappelons également les termes de l’arrêté du 10 novembre 2021 relatif aux manifestations aériennes. Les dispositions règlementaires contenues dans ce dernier devraient être le coup de grâce à la présentation annoncée à grand renfort de publicité par la Mairie d’Eyguières.

Retenons dans l’intervalle que Cape Canaveral restera en Floride.

Une réflexion sur “Cape Canaveral en Provence ?

  1. Ping : Star Trek en escale à Salon-Eyguières – Sauvons l'aérodrome de Salon-Eyguières !

Les commentaires sont fermés.